Mon histoire sera courte, et j’en ai bien peur, peut-être pas la plus intéressante à vos yeux. Je suis née quelques années après ma soeur Roxane et mon frère Isaiah. Par un jeu du sort, je suis venue au monde en même temps que mon autre frère Elias. Autrement dit pour ceux du fond qui n'ont pas suivi, nous sommes jumeaux. On était les petits derniers, les bébés de la famille.

Je n'ai pas trop de souvenir de ma petite enfance. Comme tout le monde, vous me direz. Je crois qu'on était heureux. Et puis, notre père est mort à cause d'un cambriolage qui a mal tourné. Là encore, je ne m'en souviens pas évidemment, j'avais que trois ans. Je me souviens même pas de son visage, en fait. Le seul que je connais est celui sur les photos de famille.

Croyez-le ou non, enfant j’étais plutôt sage. La petite blondinette qu’on ne remarquait pas vraiment, comme si je sentais qu'il valait mieux que je m'efface. Je lisais mes livres, m’occupais avec les jouets qu’on avait bien voulu me laisser. Je crois n’avoir jamais rien eu de neuf au cours de ma vie, à part pour mes anniversaires et Noël. C’est ça le privilège d'être la petite soeur.

Les premières années de ma vie n’ont, dans l’ensemble, pas le moindre intérêt, si ce n’est mon rêve d’être plus grande pour avoir le droit de suivre Roxy un peu partout. Je détestais être la dernière, le bébé, celle à laquelle on demandait de faire attention mais qu’on ne regardait pas vraiment. Bon heureusement, je n'étais pas la seule, il y avait Elias aussi. Et puis un jour j’ai réalisé que loin d’être un inconvénient, c’était au contraire plutôt un atout. J’avais enfin compris que puisqu’on ne me regardait pas, je pouvais faire ce que je voulais tant que je restais plus ou moins sous les radars.

J’ai commencé gentiment, par vendre des jouets et objets que je trouvais à la maison contre de l’argent ou des goûters. Puis, au début de l’adolescence, à voler dans les étalages des supermarchés. Je crois que j'ai filé des cheveux blancs à ma mère et ma soeur avec mes conneries. Enfin avant que Roxy décide de partir sans rien dire à personne.

Et puis, arriva ce fameux jour qui allait changer ma vie.

J’avais voulu de l’attention, j’allais en avoir.

J'eus ma première crise d'épilepsie à quinze ans lors d’une réunion entre voisins. Apparemment c’était plutôt impressionnant, on se serait cru dans l’exorciste. J’eus durant cette crise la vision d’un de nos voisins, ou plutôt de son cadavre. Le lendemain, il mourut d’une crise cardiaque. La même chose se déroula un an plus tard, avec un incendie dans l’école qui tua trois élèves et un professeur. Autant dire que j’avais vraiment la trouille. Que je croyais que c’était moi qui causais tous ces événements. J'avais l'impression de devenir folle. Je fis l'erreur d'en parler à ma meilleure amie de l'époque, qui ne trouva rien de mieux que le répéter à un de nos profs, ce qui me valut des rendez-vous réguliers chez le psy du lycée. Je décidai de ne pas en parler à ma famille parce que c'était beaucoup trop embarrassant et que je ne savais pas quoi faire de cette information.

Peut-être que c'était l'épilepsie, peut-être autre chose, en tout cas j'ai quand même fini par me calmer. Croyez-le ou non, j'ai même décidé de faire des études, en programmation informatique, et ça m'allait plutôt bien.

Enfin, tout ça, c'était avant la mort de maman.

Et le pire, c'est que je n'étais même pas là. Je savais pas qu'elle était malade, elle avait rien dit à personne. Je me console en pensant qu'au moins Elias était là, qu'elle était pas toute seule. Mais je n'ai jamais pu me débarrasser de cette culpabilité. Et après ça, plus grand chose n'avait d'importance en fait.

Et j'ai craqué, plaqué mes études du jour au lendemain. C’est alors que je commis la dernière folie qui me restait à faire: m’enfuir par amour. Elle s’appelait Katie, et j’étais absolument dingue d’elle. Je l’avais rencontrée au bar de l'université au cours d'une soirée avec des filles de mon étage. Je finis par partir avec elle, à l’arrière de sa moto.

Katie était belle, libre, forte, mais surtout c’était une sorcière. Elle m’aida à en savoir plus sur ma nature profonde, sur mes capacités, sur ce qui coulait dans mes veines. J'eus des réponses, certes effrayantes, mais au moins vraies. Je découvris que faire des prédictions pour les gens, même fausses, était un business particulièrement lucratif. Surtout si je prends un accent slave, allez savoir pourquoi.


Mais comme beaucoup de relations passionnelles, celle-ci finit par s’essouffler et prendre fin et nous nous quittèrent à San Francisco. Je l’avoue, j’en avais marre de parcourir les routes. Et ma famille me manquait, même si je me serais damnée plutôt que l’admettre. J’étais partie depuis un an, sans pratiquement donner le moindre signe de vie et la culpabilité avait fini par me gagner, si bien que je pris la route de Crestwood, où je savais que mes frères et soeur s'étaient installés. Mais le pourquoi du comment ils ont choisi ce bled paumé, j'en ai pas la moindre idée.

Bon, je dois vous avouer la vérité. Si on joue carte sur table, ça fait un petit moment que ma santé part en vrille. J'ai vu des médecins (enfin quand je pouvais me le payer), et il semblerait que mon corps s'affaiblit continuellement. Je ne sais pas combien de temps il me reste, mais je sens que je m'éteints petit à petit.