Les fantômes n’ont pas besoin de dormir, ce qui peut présenter un avantage aussi bien qu’un inconvénient. Coraline avait un temps infini devant elle mais trouvait parfois les heures bien longues en attendant que les employés de l’agence se réveillent. Elle se retrouvait souvent à se lancer dans diverses préparation culinaires - ce qui pouvait s’avérer frustrant étant donné qu’elle ne pouvait y goûter - ou dans des classements interminables, mais le plus souvent des lectures sur le surnaturel qui lui faisaient reprendre goût à l’étude, tout en la terrifiant tout de même un peu par moments.

Elle était, cette fois-ci, installée derrière son bureau à classer les derniers dossiers. A force d’errances nocturnes, elle avait fini par élaborer un système de classification particulièrement élaboré et complexe. Si elle avait cru un jour qu’elle parviendrait à se distraire de cette façon ! Mais l’entrée de Candace fut une interruption plus que bienvenue, même si elle aurait aimé qu’elle évite de lui donner un surnom si ridicule - elle aurait au moins pu rajouter une lettre non ? -. La fantôme remarqua bien que la jeune femme ne semblait pas dans son assiette, mais elle n’en laissa rien paraitre, répondant à son sourire. Elle avait compris depuis longtemps qu’il valait mieux ne pas poser de questions trop indiscrètes ici, et une Tueuse devait avoir des problèmes qu’elle ne pouvait sans doute pas imaginer.

Elle se tourna vers les quelques dossiers qu’elle venait d’empiler sur son bureau et en ouvrit un sur la pile. « Mmmm bizarrement je n’ai pas vu grand chose aujourd’hui. Une mère de famille se plaint que ses toilettes inondent mystérieusement son appartement à certaines heures de la journée, mais ça pourrait très bien être un problème de plomberie… » Elle ferma le dossier et en attrapa un autre, qui de même que le premier ne contenait qu’un seul feuillet. « Et là… un adolescent qui pense que son smartphone est possédé. Mais j’ai plutôt l’impression qu’il se fichait de nous. » Elle leva la tête vers Candace, un peu gênée. « Désolée, c’est pas vraiment excitant. »

Elle reposa le second dossier sur le côté et plaça ses mains devant elle, entremêlant ses doigts. Puis elle regarda sa patronne, un peu hésitante. « Je sais que ça ne me regarde sans doute pas mais… est-ce que tout va bien ? » Elle allait peut-être se faire envoyer sur les roses, mais au moins elle aurait posé la question - restes de son ancienne vie d’infirmière -. Il était évident que la Tueuse cherchait une distraction.

Coraline s’était d’entrée de jeu demandée si elle n’avait pas fait une bêtise en lui posant cette question. Si Candace avait été une patronne ordinaire, elle se serait évidemment tue, mais au sein de cette agence, dans leur métier si particulier, les rapports étaient différents et elle n’était pas certaine de comment se comporter, d’autant plus après avoir été totalement seule pendant plus d’un an. Comme souvent, elle s’était référée à son ancien métier. Elle avait appris avec l’expérience que poser une question, s’intéresser à ce qu’il se passait chez l’autre pouvait ouvrir une porte. Même si elle n’obtenait pas de vraie réponse, l’ouverture restait là, au cas où.

Dans le cas de la Tueuse, la revenante ne s’était pas attendue à avoir une réponse comme celle-ci. Elle pensait se faire envoyer sur les roses, s’entendre répondre qu’elle ne voulait pas en parler ou la voir formuler une explication vague et sans réel intérêt. Elle n’avait pas vraiment prévu qu’elle se confie si facilement, si pleinement et elle ne put qu’en être touchée. Elle l’écouta alors attentivement, hochant la tête à sa question. Mais la vérité c’est qu’elle ne s’en souvenait pas vraiment, de cette Anastasia. Elle avait peut-être dû vaguement la croiser et supposer que c’était une employée ou consultante pour l’agence. A ses débuts ici, c’était surtout avec Elkan ou Basile qu’elle passait le plus clair de son temps, ayant encore du mal à interagir avec les autres. Et puis, ne la voyant plus, elle l’avait rapidement oubliée, bien ignorante de l’importance qu’elle pouvait avoir pour Candace.

Une vampire Tueuse… Elle ne savait même pas que la chose était possible, même si en fait c’était plutôt logique. Elle avait encore du mal à appréhender le concept même de vampire: Anastasia était-elle toujours là, quelque part, ou n’était-ce plus elle du tout ? Bien sûr elle eut la délicatesse de ne poser aucune question, ce n’était certainement pas le moment. « Je… je suis désolée. » Ca lui semblait infiniment simpliste et idiot comme réponse, mais elle ne voyait pas quoi dire d’autre. Elle ne pouvait comprendre ce que Candace vivait, ou même savoir ce qu’il convenait de dire dans de pareilles circonstances. Pourtant, ça ne voulait pas dire qu’elle n’était pas capable de percevoir sa peine. Alors, à la place, elle se leva et se plaça devant son bureau, réduisant la distance entre elles mais sans pour autant trop se rapprocher. Elle n’était pas certaine qu’un contact physique serait le bienvenu, alors elle préférait éviter, au cas où. Elle ne connaissait pas la jeune femme depuis longtemps, mais elle était à peu près certaine qu’elle n’était pas du genre à faire étalage de ses sentiments de cette façon et qu’il valait mieux ne pas souligner qu’elle était visiblement sur le point de pleurer.

« Tu… tu veux qu’on regarde dans les dossiers classés s’il n’y a pas quelque chose qui pourrait être plus intéressant ? » Elle esquissa un sourire qui se voulait rassurant tout en lui indiquant la pile qu’elle avait terminé il y a peu. Elle n’était pas sûre que l’encourager à se mettre dans une situation dangereuse pour compenser son état émotionnel soit une excellente idée, mais elle ne voyait pas vraiment quoi faire d’autre. Lui proposer de manger de la glace devant une série ou un film à l’eau de rose lui semblait déplacé. Ce n’était pas une simple histoire de rupture et le monde dans lequel elles évoluaient était bien différent. Et puis, Candace était Tueuse, le danger était son lot quotidien. Peut-être même que ça lui ferait du bien ?

Ce moment d’intimité, elle le savait, était rare. D’abord parce que Candace ne s’ouvrait pas si souvent, en tout cas pas en public. Coraline savait qu’elle pouvait se considérer comme privilégiée d’avoir accès à cette partie de la jeune femme. Elle n’en était plus vraiment surprise cependant: elle commençait peu à peu à plus ou moins comprendre ce qu’impliquait être Tueuse, les devoirs qui en découlaient, la solitude également que cela impliquait. Elle avait du mal à imaginer ce que pouvait être se trouver avec une mission pareille sur les épaules, sans l’avoir choisi. Peut-être qu’au début, elle avait éprouvé une certaine forme d’envie, dans le fait d’être élue, d’avoir une raison d’exister en ce monde, un but. Mais à force de voir Candace revenir abimée, physiquement et sans doute intérieurement, elle avait vite revu sa copie.

Elle la laissa s’approcher et pressa sa main dans la sienne, en espérant que la sensation ne lui serait pas trop désagréable. Elle n’était pas certaine de ce que ça faisait, de toucher un fantôme - elle avait entendu dire que c’était plutôt une sensation de froid -. Pour elle, cela créait des picotements chauds, étranges mais pas désagréables. Elle regarda la Tueuse sans un mot, mais elle sentait que quelque chose d’autre passait entre elles. Une entente, une forme de connexion. Elle sourit et passa à autre chose, comme si cet instant n’avait pas existé. Même si toutes deux savaient bien que si.

Devant les supplications de la jeunes femmes, elle ne put que se plier, d’autant plus lorsque celle-ci lui signifia qu’elle pourrait venir. Le visage de la fantôme s’illumina instantanément. « Oh c’est vrai ? Enfin je veux dire… oui pas de problème. » C’est qu’elle voulait tout de même avoir l’air un minimum professionnelle.

Bien sûr, elle ressentait une certaine appréhension. Tout comme elle n’avait pas quitté sa maison pendant plus d’un an, elle sortait à peine des murs de l’agence. Elle avait fini par s’y sentir en sécurité. Pourtant, il y avait une part d’elle, de plus en plus forte, qui mourait d’envie de découvrir davantage le monde extérieur; surtout à présent qu’elle en connaissait la nature surnaturelle. Elle aimait passer du temps dans les livres, mais elle en était venue à avoir envie d’expérimenter davantage sur le terrain, même si Elkan n’avait pas l’air vraiment d’accord. Elle était morte de peur, mais au moins elle ne serait pas seule. Candace était tueuse, elle savait parfaitement ce qu’elle faisait.

« Laisse-moi réfléchir… » Quelque chose de violent donc. Elle pensa à quelques cas, mais ceux-ci demanderaient de la réflexion avant et elle sentait que ce n’était pas ce qu’il faudrait à la jeune femme. C’est alors qu’elle eut une illumination. Elle fouilla dans ses papiers et parvint finalement à trouver un prospectus qu’elle brandit sous le nez de sa patronne, particulièrement fière de sa trouvaille. « Tadaaaa ! » Le papier annonçait une collecte de sang qui avait lieu toute cette semaine en ville. « Je pensais vous en parler demain, mais puisque tu es réveillée… Le jour ne va pas se lever avant plusieurs heures. Qui dit sang dit vampires, non ? » Elle espérait en tout cas avoir vu juste. Si c’était le cas, c’était parfait: de quoi défouler son acolyte, mais sans être trop dangereux. Candace avait certainement déjà vu bien pire qu’un groupe de créatures de la nuit affamées.

Coraline n’aurait pu être plus fière d’elle que sous les compliments de la Tueuse. S’entendre dire qu’elle avait vu juste, qu’elle avait eu une bonne intuition lui fit un bien fou et elle n’aurait pu dissimuler le sourire radieux qui illuminait son visage. Pour être totalement honnête, elle ne se sentait pas toujours à sa place à l’agence. D’abord parce que son arrivée était encore récente, même si elle avait déjà pu trouver ses marques. Les autres employés semblaient se connaitre depuis longtemps, peut-être des années, et il n’était pas forcément évident de se sentir l’une d’entre eux à part entière, surtout pour elle qui n’avait plus l’habitude de côtoyer qui que ce soit. Elle qui avait pourtant été sociable de son vivant devait réapprendre à vivre en communauté, à trouver sa place et son but ici, se sentir utile, comme c’était le cas à présent.

Candace semblait elle aussi plutôt enthousiasmée par ce projet. Il était probable que la fantôme en mène bien moins large une fois sur place si effectivement il y avait des vampires dans le coin, mais pour le moment elle exultait. Elle suivit donc la jeune femme jusqu’à l’armoire qui regroupait les armes. Jusqu’ici elle n’y avait bien sûr jamais touché, n’en ayant pas eu l’utilité. Et puis, il faut dire que les armes l’avaient toujours mise mal à l’aise. En tant que Britannique débarquée sur le sol Américain, elle avait eu bien du mal à comprendre l’attrait de ce peuple pour les armes à feu.

Pourtant, en les regardant, et en voyant la métisse aux cheveux roses être aussi fière que si elle lui présentait ses propres enfants, Coraline vit presque de la beauté dans toute ce fatras de lames et diverses objets pointus. Et au moins, il n’y avait aucun revolver. La tueuse attrapa une sorte d’épée qui semblait vraiment impressionnante. Elle n’avait fait que la saisir et pourtant déjà elle avait l’air en parfaite maitrise de son arme, comme si celle-ci était une extension d’elle-même.

Lorsque ce fut son tour de choisir, elle n’en menait pas large. Elle se tourna vers le contenu de l’armoire, hésitante. « Euh, pourquoi pas… » Peut-être qu’elle se sentirait plus en sécurité avec une arme. Mais laquelle prendre ? L’arc était hors de question, elle n’aurait jamais su viser avec. La massue lui paraissait bien lourde, et dangereuse surtout. Elle repéra cependant une hache qui semblait tranchante, mais d’une taille acceptable pour qu’elle puisse la transporter sans avoir peur de la faire tomber ou de frapper quelqu’un par erreur. « Je vais prendre ça ! » Elle l’attrapa des deux mains, avant de se tourner vers Candace, plutôt ravie de son choix.

« Comment on y va ? » Elle disposait d’un moyen plutôt rapide, d’autant plus connaissant l’endroit où se situait la collecte, mais elle ne pouvait transporter personne et elle préférait encore qu’elles s’y rendent ensemble. C’est alors qu’elle eut une idée qui lui trottait dans la tête pratiquement depuis le jour où elle avait mis un pied à l’agence et elle lança à Candace une oeillade mystérieuse et malicieuse. « Attends une seconde. » Elle disparut d’un coup, puis réapparut quelques instants plus tard, brandissant un trousseau de clefs. Et pas n’importe quelles clefs, celles de la voiture d’Elkan. « Je les remettrai en place avant qu’il s’en rende compte. Tu penses que je pourrais conduire ? » Son visage se fit presque suppliant, tandis qu’elle secouait les clefs. C’était peut-être risquée, après tout certains humains risquaient d’apercevoir une voiture se conduisant toute seule. Mais il faisait nuit, et après tout on était à Crestwood.

Candace avait beau être plus jeune qu’elle, elle avait cette aura qui impressionnait Coraline. Installée dans son rôle de Tueuse, habituée à des dangers qu’elle semblait affronter sans peur - ou presque - et menant cette agence d’une main de maître. C’est simple, elle baignait comme un poisson dans cet environnement, tandis que la rouquine parvenait à peine à y tremper les pieds. L’admiration de sa patronne pesait pour elle son pesant d’or. Ce n’était pourtant pas son genre de voler des clefs de voiture, ou conduire en dépassant les limites de vitesse. Elle avait toujours suivi les règles, parfois sans trop savoir pourquoi. Mais peut-être était-il temps d’en briser quelques unes ? Elle était morte après tout, elle pouvait bien se le permettre.

Elle suivit donc la détective et déverrouilla le véhicule. Elle déposa son arme négligemment sur la banquette arrière avant de prendre place derrière le volant. Elle n’avait pas conduit depuis des lustres et espérait ne pas être trop rouillée. Et c’était sans compter le fait qu’elle pouvait être invisible aux yeux de certains. Par chance, la nuit leur permettrait peut-être de passer inaperçues.

Sans se poser davantage de questions, elle démarra l’engin et quitta le trottoir devant l’agence. La sensation de la route était grisante, et comme la Tueuse le lui avait fait promettre, elle écrasa l’accélérateur à plusieurs reprises. Il faut dire que la voiture d’Elkan était une vraie petite merveille à conduire et la fantôme comprenait soudain pourquoi le sorcier y tenait tant. Elle qui s’était toujours contentée de vieux véhicules d’occasion découvrait à quel point la route pouvait être merveilleuse à bord d’un bolide de ce genre.

Elle sentit que Candace était pensive à ses côtés, ignorant si elle devait lui poser des questions ou la laisser tranquille. Dans le doute elle préféra se taire, et puis mieux valait qu’elle se concentre pour leur éviter un accident - et à Elkan de mourir d’une crise cardiaque en constatant la perte de sa voiture bien-aimée -. Elle pouvait sentir en tout cas que quelque chose la préoccupait, mais sans savoir quoi faire pour la distraire. Elle se prenait à espérer qu’il y ait vraiment des vampires là-bas, juste pour lui changer les idées.

Arrivant sur place, Coraline gara la voiture dans un recoin qu’elle espérait discret avant de sortir à son tour du véhicule. Elle attrapa sa hache sur le siège arrière, pour découvrir que la lame affutée en avait fendu en partie le cuir. Oups ! Tant pis, elle se soucierait de ça plus tard. Pour le moment, les deux jeunes femmes avaient bien d’autres choses à faire, car les créatures nocturnes ne furent pas longues à se manifester. Là où il y a du sang, il y a des vampires, c’était une leçon qu’elle avait retenue. Elle regarda Candace d’un air assuré, même si au fond d’elle, elle n’en menait pas large. « Prête. »

Elle s’avança aux côtés de la Tueuse, prudemment. Pour le moment aucun des vampires qui se trouvaient là ne les avait remarquées, bien trop occupés à leur besogne. La revenante se rapprocha de Candace et chuchota. « On fait comment ? On se sépare pour les prendre par surprise ? Ou on fonce dans le tas ? » Elle ne savait pas vraiment quelle option elle préférait… Mais peut-être qu’elles n’auraient pas à choisir après tout, puisque le pied de Coraline buta contre un gros caillou. Cela aurait pu être sans conséquence si ledit caillou n’avait pas roulé pour heurter un poteau, avec un bruit suffisant pour attirer directement l’attention sur elles.

Et voilà, une bourde de sa part et elles se retrouvaient en danger. Peut-être qu’elle n’aurait pas dû venir finalement. Peut-être qu’elle allait faire plus de mal que de bien. Mais Candace, loin de lui faire le moindre reproche - ce dont Coraline lui fut reconnaissante - ne se laissa pas impressionner. Elle concocta un nouveau plan en une demi-seconde à peine. Ce n’était peut-être pas le moment, mais la fantôme ne pouvait qu’être impressionnée. Elle acquiesça d’un signe de tête. « Compris. » Et un instant plus tard la Tueuse avait disparu, s’élançant à une vitesse impressionnante vers la horde de vampires.

Coraline réalisa soudainement qu’elle était sur le point de vivre le premier combat de sa vie. C’était atrocement effrayant. Elle était terrifiée, mais avait conscience de ne pas avoir le choix. Elle brandit donc sa hache, ses mains tellement crispées autour du manche qu’elle aurait pu la briser si elle avait eu la force de sa patronne. L’agilité au combat de cette dernière était d’ailleurs à peine croyable. Elle aurait pu la regarder des heures durant, du moins si un vampire, tout aussi impressionné, n’était pas en train de s’enfuir.

Il fallait qu’elle soit à la hauteur de la tâche, ce qui voulait dire cesser de tergiverser et passer à l’action. Elle se téléporta pour se retrouver juste devant le vampire, ce qui lui donna l’avantage de la surprise. Et là, elle ne sut ce qui lui prit. Elle brandit la hache, et poussant un cri de guerrière - ou quelque chose qui y ressemblait à peu près - , l’enfonça sur a tête du mort-vivant. Elle se trouva face au spectacle grotesque et un peu répugnant d’un vampire qui marchait un peu hagard, une lame enfoncée dans le crâne. Profitant de la situation, elle sortit le pieu qu’elle avait emporté de sa poche - un indispensable dans ce genre de situation - et l’enfonça dans le coeur de la créature. Elle dut s’y reprendre tout de même à deux fois, mais c’était le résultat qui comptait. Et le résultat, c’est qu’il éclata en poussière, tandis que la hache qui était à présent dans les air tomba lourdement sur le bitume.

En cet instant, Coraline n’aurait pu décrire la sensation d’euphorie mêlée de peur qui la parcourait. Jamais elle n’avait senti l’adrénaline l’emporter à ce point - si on pouvait parler d’adrénaline dans son cas -. Elle ne put que lever les bras vers le ciel et pousser une exclamation victorieuse. « Wouhou ! » Sans réaliser que la tâche était loin d’être terminée. Et surtout qu’un autre vampire, cette fois-ci bien plus sûr de lui, se précipitait tout droit vers elle.

Elle l’entendit venir et se retourna, mais trop tard. Elle se retrouva projetée contre le sol, écrasée par le poids de la créature démoniaque. Elle savait ce qu’elle aurait dû faire: se téléporter. Ou utiliser ses pouvoirs pour l’éloigner d’elle. Pourquoi n’y arrivait-elle pas ? Elle en était réduite à faire de son mieux pour échapper aux coups de dents du vampire, qui visiblement ne s’était pas encore rendu compte qu’il ne pourrait rien tirer d’elle, littéralement. Pourquoi, mais pourquoi n’avait-elle pas récupéré cette maudite hache à temps ?

Elle se débattait comme elle pouvait et parvint malgré tout à extirper son bras pour essayer d’attraper le pieu qu’elle avait lâché sous le coup de la surprise et qui avait roulé par terre - encore un coup de génie de sa part -. Elle pouvait toucher le bois. Elle y était presque…

Elle se referait plus tard le film de cette altercation avec des dizaines de questions en tête: pourquoi n’y arrivait-elle pas ? Pourquoi laissait-elle la peur l’envahir de cette façon ? Elle ne pouvait mourir une seconde fois - du moins, pas à sa connaissance -. Ici, elle ne risquait absolument rien. Ce vampire ne pouvait lui faire quoique ce soit. Et pourtant, elle était littéralement morte de trouille, se débattant comme pour essayer de sauver sa vie. Le vampire parvint pourtant à la mordre, ou plutôt à essayer de la mordre pour s’apercevoir avec un air un peu ahuri que pas une goutte de sang ne parvenait à ses lèvres.

Mais bientôt ce ne fut plus elle sa préoccupation, mais Candace qui avait volé au secours de la fantôme - bien qu’encore une fois elle n’en avait pas vraiment eu besoin -. Coraline se dégagea immédiatement, encore sonnée par l’altercation un peu trop rapprochée avec le suceur de sang. Elle se recula, bien que toujours à terre, ne pouvant qu’observer, fascinée, la scène qui se déroulait sous ses yeux. La démone se battait comme une lionne, parant les coups, les encaissant aussi parfois. Tout allait si vite que la revenante avait à peine le temps de comprendre ce qu’il se passait. Elle finit par se relever et regarda autour d’elles, mais il semblait bien que ce vampire soit le dernier de sa troupe. Les autres étaient tombés en poussière, ou bien se trouvaient loin d’ici.

Elle lui laissait le coup final ? Bien évidemment, la fantôme avait les mains vides. Elle posa les yeux sur son pieu qui était tombé par terre et se concentra, tentant de conserver son sang-froid. Cette fois-ci, l’objet bougea de lui même et s’éleva dans les airs avec rapidité avant d’aller se planter directement dans le coeur du vampire, le réduisant immédiatement à l’état de poussière.

Ca y est, c’était fini ? La respiration haletante, elle se tourna vers Candace qui avait tout de même subi quelques coups. « Tu vas bien ? » Elle s’approcha de la jeune femme. Tout était redevenu calme. Difficile d’imaginer qu’il y avait eu un tel champ de bataille à peine quelques secondes auparavant. Elle ramassa sa hache, se sentant prise à la fois d’une fatigue nerveuse et d’une excitation qui l’emplissaient tout entière. « Je crois qu’on les a tous eus, non ? Enfin toi surtout. » Parce que pour être franche, elle n’était pas certaine que son intervention avait été des plus utiles. Elle repensa à la manière dont elle avait paniqué inutilement et se sentit mortifiée à l’idée d’avoir pu mettre la vie de sa patronne en danger.

Elle la regarda et se rendit compte que pour elle, ça devait être la routine. Voire même une nuit assez calme. Ce n’était, après tout, qu’un petit groupe de vampires animés par la soif. Rien de plus. « Je ne suis pas sûre d’être faite pour le terrain. » Elle laissa échapper un rire nerveux. « On fait quoi maintenant ? On rentre ? » C’était l’option la plus probable. Elle se tourna vers l’endroit où elle avait garé la voiture d’Elkan, espérant qu’elle était encore intacte.

Elle sourit, flattée, tout en se demandant si Candace n’essayait pas surtout de la rassurer et de lui faire plaisir. « Oh, je suis sûre que tu aurais très bien su t’en sortir sans moi. Tu as dû affronter bien pire ! » Et probablement des créatures dont elle n’avait pas la moindre idée, puisqu’après tout sa connaissance du surnaturel restait relativement récente. Néanmoins, elle acceptait le compliment, et le fait d’avoir empêché ne serait-ce que quelques vampires de se sauver avec leur butin était plutôt réconfortant.

Il n’empêche qu’elle aurait de sacrés progrès à faire pour un jour être à la hauteur. Ceci dit, ce combat avait été en soi une véritable gifle, un rappel à l’ordre: elle ne voulait plus être celle qu’on venait secourir, la faible créature incapable de se défendre. Rien de mal ne s’était passé aujourd’hui, mais elle réalisait qu’en d’autres circonstances, elle aurait peut-être réellement pu mettre Candace - ou un autre de ses collègues - en grand danger. Et ça, c’était inacceptable. Elle se tourna vers son amie, encouragée par ses paroles. « Tu crois que tu pourras m’aider ? A m’améliorer je veux dire ? » Elle ne deviendrait sans doute jamais une pro du combat comme elle, mais elle souhaitait surtout être capable de se défendre seule en cas d’attaque et surtout ne plus perdre bêtement ses moyens comme ça avait été le cas aujourd’hui.

Elle se dirigea vers la voiture aux côtés de sa patronne, accueillant ses remerciements avec un sourire. Il lui fallut un instant avant de se rappeler à quoi elle faisait référence. « Avec plaisir. Heureuse que ça t’ait aidée. » C’était au moins une excellente chose à retenir de cette soirée. Elle plaça également son bras autour des épaules de Candace pour marcher vers la voiture, plutôt heureuse de rentrer à l’agence, désormais sa maison.

Relâchant son étreinte autour de la jeune femme, elle ouvrit la portière arrière pour replacer la hache sur la banquette, abimant encore un peu plus le cuir sans s’en rendre compte. Mais c’est lorsqu’elle se trouva au niveau de l’avant, côté conducteur qu’elle écarquilla les yeux, catastrophée: la portière avait été défoncée. « Oh non ! Elkan va me tuer ! » Heureusement qu'elle était déjà morte... Elle aurait volontiers incriminé les vampires, mais elle n’en avait vu aucun arriver jusque là. C’était vraisemblablement un conducteur imprudent - et sans doute saoul - qui leur était rentré dedans. C’est alors qu’elle aperçut un carré de papier blanc sur le part-brise et l’attrapa avec soulagement. Un soulagement qui ne dura guère lorsqu’elle en lut le contenu avant de le tendre à Candace. « Je suis rentré dans votre voiture. Une voisine en face me regarde et pense que je vous laisse mes coordonnées. Mais en fait non. »

La fantôme regarda la portière, dépitée, puis son amie. « Bon allons-y. » Elle ouvrit comme elle le put et s’installa derrière le volant, prête à subir sous peu la fureur du sorcier dès qu’il s’en rendrait compte.