Je m’arrête un instant pour prendre le temps d'allumer une cigarette devant le jardin en friche d'une maison abandonnée.
C'est étonnant comme cette ville parvient à être à la fois vivante et sinistre... et je suis surpris par ma propre nonchalance dans ces rues étrangères.
Je ne sais rien sur moi-même. Tout est flou et incertain. Je parviens à donner le change et je découvre que j'ai une aptitude à faire comme si tout était normal... J'ai des papiers d'identité, un portable avec des numéros, des adresses, des papiers officiels... J'ai un métier que j'ai le sentiment d'aimer.
Mais je n'ai fait part à personne de mon amnésie. Je n'ai pas peur... je suis juste viscéralement méfiant envers tout ce qui respire... ou pas. Cette méfiance fait partie de moi. Et ça, je le sais.

Il y a aussi cette bague étrange... Son style me déplait instinctivement. C'est un mystère que je vais devoir résoudre. Je l'ai accrochée à une chaine autour de mon cou. Je sais que sans l’ombre d'un doute, je suis méfiant et prudent.

Mes pas me portent vers l'entrée d'un club d’où s'échappait un murmure musical. De manière distraite, je me dis qu'un peu d'agitation pourrait stimuler ma mémoire. Des que je passe la porte, je me fige un instant devant la faune locale. Je pense que la moyenne d'age doit tourner autour de vingt ans. Les adultes dont moi, se comptent sur les doigts de deux mains.

Je me dirige vers le comptoir. Le barman semble septique et souriant en même temps...

"Avec votre chapeau, vous êtes soit un flic, soit un pervers..."

Je m'assoie sur un tabouret tout en souriant. Je me demande si je suis un gars avec de l'humour, ou si je suis un violent. Je suis traversé avec la même envi de lui démolir la gueule, comme de rire....

Pour l'instant, je suis un gars qui veut tenter un Irish Coffe

Il commence la préparation...

"Vraiment?... vous êtes sur de pouvoir supporter... Mon Irish Coffe peut réveiller un mort"

Il me pose un problème. Je ne sais pas si je supporte l'alcool et les plaisanteries foireuses en même temps.

"Si je casse tout. Tu auras le droit d'appeler les flics..."

Je suis hypnotiser par la crème et l'alcool savamment dosés... mais la voix du gars me sort de ma contemplation

"Je crois que c'est pas vous la menace..."

Je suis son regard. Je n'avais pas prêté suffisamment attention à la scène et la chanteuse qui s'y produisait. Visiblement, quelque chose est en train de déraper. Une sorte de folie violente et contagieuse qui se propage en cercles concentriques depuis la scène.
Un groupe d'adolescents commencent à se mettre sur la gueule, bientôt suivit par une magnifique inclusion de genres et de races dans les mêmes coups.
Le barman a la main sur le téléphone. Je me penche suffisamment et rapidement pour saisir son bras.

La police est deja là...  Amène moi plutôt des extincteurs.

Le barman est plus surpris par mes paroles que par la bagarre. Je dois souvent  avoir des idées tordues... Il sort de dessous le comptoir un extincteur .

"Ça projette de la mousse?"

Il acquiesce ... On va tout suite tester mon idée... Je cale le container de cinq kilos sous le bras droit et je saisis naturellement la Valve anti-surpression de l'autre main. La pression libère une pluie de carbone  blanche qui tombe et se solidifie presque instantanément sur les corps agités. Il faut seulement quelques secondes pour créer une gangue pâteuse et écœurante suffisante pour forcer à la presque immobilité une vingtaine d'individus surexcités.

Je n'ai tué personne et l'idée m'amuse presque... jusqu'à ce qu'un adolescent à la carrure de déménageur ne fonce droit sur moi.

"Je vais te tuer fumier!"

Je me débarrasse sans y penser de ma charge métallique devenue inutile. Je cueille le jeune homme d'une main à la gorge. Je suis surpris de mon réflexe, mais je ne montre rien de cette découverte...
Je fixe les yeux de moins en moins vitreux de celui qui me hurlait dessus l'instant  d'avant. On dirait que l'effet de sa transe est en train de se dissiper

Ne menace jamais quand tu n'es pas capable d'aller au bout...

Je m'entends murmurer ces mots. Je sais viscéralement que ce ne sont pas des paroles en l'air.
Je tiens le gamin d'une main. Je le projette  sans effort sur l'amas de corps entrelacés. Je le fais avec la nonchalance que l'on peut mettre dans le lancer d'un sac d'ordures

Je reste un instant interdit. Je suis stupéfait par mon geste et par la force que j'ai réussi à mettre dans ce simple lancer d'une main. Il arrive que la force se décuple sous le coup d'un stress violent et sur une courte durée. Mais je me sentais assez calme. Je suis certain que mes pulsions ne sont pas montées d'un iota.
Je vais faire un peu de sport... histoire de voir ce que je peux et sais faire.

Je suis perdu dans mes pensées. Je reste indifférent au désordre ambiant. Et une voix tombe de nulle part. Je sursaute légèrement. Je n'aime pas être surpris...

-Merci, pour votre aide. Jeffrey est un fauteur de merde professionnel

La chanteuse est arrivée à me surprendre... Elle est à surveiller.
Je regarde le type effondré qui à l'air de se réveiller d'une cuite... ou d'un sort qui s'éteint. Cette dernière pensée m’étonne, parce qu'elle me semble crédible et qu'elle ne me surprend pas.

Je regarde le Jeffrey en question... il se peut qu'un jour il ait moins de chance...

Est-ce que je peux vous payer un verre pour vous remercier ?

Cette fois, je regarde davantage la chanteuse. Elle a l'air terriblement jeune. Le contraste avec moi est flagrant. Et je la soupçonne de ne pas avoir compris que j'étais flic.

Je peux pas boire, mais rien ne m'empêche de dépenser mon argent pour quelqu'un d'autre.

Je regarde la marque sur son poignet. Encore plus jeune que je ne le pensais.... je n'aime pas l'idée d’être approché par une adolescente, mais je suis curieux par nature. Je veux savoir ce qu'elle attend de moi... et je ne refuse pas un verre.

Pourquoi pas...

C'est un peu laconique, mais ça doit être ma façon habituelle de m'exprimer. Je m'accoude au comptoir.

Une bière brune me va...

J'allais prendre un bourbon, mais je ne compte pas profiter de l'argent d'une gamine. Des je connaitrais son statut social, je verrais bien si je garde mes scrupules.

Je regarde de nouveau le type que se redresse péniblement. Je reporte mon attention vers la jeune femme

Alors c'est Jeffrey... C'est visiblement une connaissance... Qu'est-ce qu'il a contre vous pour chercher à gâcher votre soirée...?

Pour les adolescents tout devient très vite sérieux, trop sérieux...