Les retrouvailles familiales devraient me réjouir, mais en fait je suis plutôt nerveuse. On ne croirait pas comme ça, mais oui ça m’arrive. J’ai pas vu Roxy depuis une éternité. Quant à Elias… je sais pas trop quoi en penser. Oui, je lui en avait voulu d’être parti sur le coup, mais bon moi aussi j’ai vrillé après la mort de notre mère, et on peut dire que chez les Evans la fuite c’est quasiment génétique à ce stade. J’en avais longtemps voulu à Roxy aussi, et peut-être même encore un peu. Mais bon, comme je sais que j’en ai peut-être pas pour des années, ça a fini par me sembler idiot de faire la morte - ha ha - ou de jouer les reines du passif-agressif. J’étais toute prête à me jeter dans les bras de mon frangin. Mais là… je ne suis pas idiote et je le connais par coeur, je vois bien qu’un truc tourne pas rond. On avait déjà été séparés l’un de l’autre, parfois pendant de longues période, mais c’est la première fois que je sens autant de distance entre nous. Et ça, ça ne me plait pas du tout. Peut-être qu’il m’en veut, lui aussi ? Ou qu’il a un problème ? Mais en tout cas j’aimerais bien qu’il me le dise !

J’ai bon espoir que tout s’explique, avec la présence de Roxy. Elle est à moitié cinglée, mais peut-être qu’il parlera devant elle, qu’on pourra s’expliquer et que tout rentrera dans l’ordre. Après tout, c’est elle l’aînée de la famille, elle joue un peu le rôle du parent maintenant. Ouais je crois aux contes de fées, je sais.

Me voilà donc en train d’essayer de retrouver mon chemin dans Crestwood. Quand je vois à quoi ressemble ce trou, ça me fait un peu mal d’avoir quitté San Francisco. Mais il le fallait bien… Je n’avais pas vraiment d’autre endroit où aller après qu’on se soit quittées avec Kate. Il était temps que je rentre. Quel que soit le temps qu’il me reste, je préfère que ce soit en famille. Je m’en veux un peu de leur faire ça, après qu’on ait perdu nos parents. Mais je dois me rendre à l’évidence, c’est de pire en pire et je n’ai pas les moyens pour des traitements sophistiqués dont le résultat a l’air de toute façon assez incertain. Je peux juste maquiller le truc autant que possible histoire que personne ne s’en rende compte.

Quand je me retrouve enfin face au fameux bar où Elias nous a donné rendez-vous, je me demande pendant une seconde si c’est pas une énorme blague. Je pensais qu’avec un nom pareil ce serait un truc un peu geek, mais je suis devant un des endroits les plus miteux que j’ai jamais vus. Et c’est encore pire quand je rentre, on dirait le royaume de l’Halloween perpétuel où le ménage n’aurait pas été fait depuis les années quatre-vingt. C’est sûr, je me suis forcément trompée. Je suis sur le point de faire demi-tour, quand j’aperçois la tête blonde de Roxy, et juste en face le visage de mon frère. Je me sens encore plus nerveuse en m’avançant vers eux, même si j’essaie de ne pas en avoir l’air. Tellement que je remarque à peine certains des clients, qui ont l’air d’avoir de sacrés problèmes de peau. « Hey ». Je m’assois sur l’un des côtés libres de la table pour pouvoir les regarder plus facilement tous les deux. Et c’est là que je ne peux que remarquer que ma soeur a l’air d’être passée sous un rouleau-compresseur. J’écarquille les yeux, horrifiée. « Roxy, t’as une tête affreuse ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ?? » Peut-être pas la plus délicate entrée en matière, je l’accorde. Si peu délicate que je ne remarque que maintenant la manière dont ils se regardent. Il y a de la tension dans l’air ou je rêve ?

Ca me fait bizarre de les revoir après tout ce temps. Ils ont changé et en même temps pas du tout. Surtout Roxy en fait, que j’ai pas revu depuis beaucoup plus longtemps. J’ai à peine eu le temps de dire un truc qu’Eli la tacle directement. Je vois qu’on est parti sur une bonne ambiance donc. Et on dirait que ma soeur se vexe en plus. C’est ma faute, j’aurais dû être plus délicate, il me reste juste à rattraper le coup. « Mais non, c’est pas ce que je voulais dire… » De toute façon elle est déjà partie. Tant mieux, je ne savais pas trop comment faire pour la complimenter malgré ses bleus sans avoir l’air d’une hypocrite. Il n’empêche que j’aimerais bien savoir comment elle s’est retrouvée dans cet état. Je me tourne vers mon frère. « Vous vous êtes engueulés, c’est ça ? » En vrai, je ne me sens pas très à l’aise. Il a l’air content de me revoir, enfin je crois. Mais le fossé entre nous me parait plus présent que jamais. Peut-être que c’est dans ma tête, que je me fais des idées pour rien. Ou peut-être pas.

Je tourne la tête vers Roxy qui est partie au bar, sans doute pour commander des trucs. Je la vois évoluer comme si elle était elle aussi une habituée, ce que je trouve franchement bizarre. Comment peut-on avoir envie de trainer dans un endroit aussi sordide ? Je n’ai pourtant pas des goûts de luxe, loin de là, mais j’ose à peine regarder le sol tellement il est collant. Je n’ai pas du tout envie de savoir ce qu’il y a dessus…

Bref, Rox finit par revenir et elle a même pensé à moi ! Bon peut-être qu’elle ne m’en veux pas finalement. Et même si moi je lui en veux encore un peu, je suis bien décidée à enterrer la hache de guerre et à leur faire enterrer la leur, qu’ils le veuillent ou non. « Merci. » Pleine de bonne volonté, et assez assoiffée je bois quelques gorgées de bière, qui est aussi mauvaise que ce que j’aurais pu prévoir et le verre présente quelques traces suspectes. Je remarque qu’un silence particulièrement gênant s’est installé dans la conversation entre mes deux frangins. Je profite de la question de Roxy pour le combler. « Si un peu, mais j’ai fini par trouver. Je ne m’attendais pas vraiment à vous trouver dans un endroit pareil. » Je laisse échapper un rire amusé, tout en cherchant quoi dire de plus. Et puis, je me dis, autant aller droit au but. « Bon, je dois vous poser la question: qu’est-ce que vous foutez tous dans cette ville ? De ce que je sache on connait personne ici et ça a l’air d’être un trou paumé sinistre. La preuve, la moitié des gens dans ce bar ont l’air d’avoir la lèpre. »

Je les regarde l’un et l’autre en quête de réponse. C’est vrai, j’ai beau réfléchir, je n’y comprends rien du tout. Cette ville est nulle et a l’air ennuyeuse à mourir, même si ma soeur a quand même trouvé le moyen de se faire casser la figure. Si encore on était à New York ou même Orlando j’aurais compris, mais Crestwood pas vraiment. Je n’en avais même jamais entendu parler avant de savoir qu’ils étaient là (et qu’en plus personne n’avait eu la politesse de me prévenir). « D’ailleurs il vient pas Isa ? » J’avais espéré que ce serait une réunion complète, avec tous les Evans. Mais bon, au pire je me contenterai de ces deux là et il y a déjà du boulot pour qu’ils arrêtent de s’envoyer des piques toutes les cinq minutes.

Ah d’accord, sympa. Là, c’est un peu la douche froide. Depuis quand il me parle comme ça Elias ? Il m’en veut ou quoi ? C’est vrai que je suis partie un petit moment et que j’ai pas vraiment donné beaucoup de nouvelles, mais lui non plus à ce que je sache. Là tout de suite, j’hésite entre lui demander quel est son problème et ne plus lui adresser la parole de la soirée. Pas très mature je sais, mais il ne l’est pas non plus. De toute façon, je ne dis finalement rien. Je me contente de baisser les yeux sur la table, mais c’est peut-être une erreur, elle a l’air aussi sale que le sol. C’est cruche, mais je me sens triste. J’avais espéré autre chose de nos retrouvailles, surtout avec lui. Avec Roxane, j’aurais compris que ce soit tendu. En fait, si on y réfléchit bien, on ne se connait pas tant que ça. Elle a quitté le nid familial assez jeune et on s’est assez peu vues après ça. Mais avec Eli, je n’aurais jamais cru qu’on en serait là, aussi distants que des inconnus ou presque.

De toute façon Roxy revient et m’informe elle aussi sur Isaiah. Pour le coup, je n’ose même pas lui demander ce qu’il s’est passé et j’ai franchement du mal à me retenir de lever les yeux au ciel. Ca va être plus compliqué que ce que je pensais de réconcilier tout le monde. J’espère que je ne vais pas mourir trop vite, parce qu’il y a du boulot là. Au moins ça me distraira, j’avoue que je n’aime pas trop penser au fait que je vais mourir. C’est trop angoissant. Et puis on ne sait jamais, peut-être que miraculeusement on finira par trouver ce que j’ai et pouf, je serai guérie !

J’ai vraiment l’impression de débarquer dans une dimension parallèle. Ils sont sérieux avec leurs explications ? Je n’y comprends rien du tout, à part qu’Elias a débarqué là pour on ne sait quelle raison et les deux autres ont suivi. A part ça, ils ne m’ont rien dit du tout. Je note que tout le monde a l’air bien plus au courant que moi. Je me tourne vers mon frangin, oubliant un instant qu’il se comporte comme un sale con. « Mais pourquoi t’es venu ici ? Y a quoi dans ce bled de si spécial ? » La réponse commence à venir en demi-teinte quand je le vois saluer un type… avec trois bouches. Je regarde mieux les clients, les yeux de plus en plus écarquillés. Dans la pénombre du bar, j’avais juste cru que ces gens avaient de sérieux problèmes de peau - je suis sûre que cette ville est du genre à avoir de l’eau contaminée ou autre truc du genre - ou étaient très très moches. Je finis par me rendre compte que l’endroit est rempli de montres, ou de démons. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’en voir beaucoup, la découverte du surnaturel est assez récente, mais je n’avais aucune idée que mon frère et ma soeur savaient, eux aussi. Mais savent-ils vraiment ? Et que savent-ils ?

J’en suis là de mes questionnements intérieurs, quand voilà que Roxy se met à provoquer Elias. « Ah non vous allez pas commencer ! Vous êtes frère et soeur, vous devriez faire la paix au lieu de vous battre. » Merde, on dirait maman. Bon de toute façon, ils sont tellement dans le nez l’un de l’autre qu’ils ne s’en rendront sans doute pas compte. C’est pas comme si on m’avait posé une seule question ou même demandé comment je vais depuis que je suis arrivée, hein…

L’alcool débarque à point nommé, je ne sais pas combien de temps j’aurais pu empêcher ces deux là de se battre sinon. C’est peut-être d’ailleurs l’occasion ou jamais de les faire parler. J’attends qu’ils aient pris leur premier shot - et je les accompagne - pour me lancer. Il faut avant tout que je les questionne le plus subtilement possible. « Et euuuuh vous les trouvez pas BIZARRES tous les gens qui sont ici ? Je veux dire, y en qui ont des têtes TRÈS ÉTRANGES… » Je crois que j’ai réussi à bien tourner les choses pour qu’ils ne se doutent de rien.

Plus Eli essaie de m’expliquer pourquoi il est ici, moins je comprends. C’est n’importe quoi cette histoire, pourquoi il ne voudrait pas qu’on le retrouve ? Il délire complètement ! A moins qu’il ait fait quelque chose… Mais ça, je ne pense pas qu’il me le dise et ça fait un peu mal qu’il ne soit pas venu me trouver, qu’il ait voulu me fuir moi aussi. Décidément, y a vraiment un truc qui cloche et je ne sais pas si j’ai envie de lui frapper la tête contre la table pour être aussi con ou lui parler pour le forcer à tout me dire. En plus il dit ça comme si ce n’était rien du tout, comme si c’était totalement normal. Je vous jure, cette famille…

Au moins les shots vont peut-être apaiser tout le monde. Sauf si ça empire encore les choses, ce qui n’est pas totalement impossible. C’est là que j’en profite pour les faire parler, ou du moins essayer parce que c’est clair qu’il se passe un truc bizarre et j’aimerais bien qu’on me dise quoi. Ca commence à devenir frustrant d’être la dernière au courant de tout dans cette famille. Mais voilà qu’ils se mettent à jouer les idiots en prétendant que tout est absolument normal. J’attrape machinalement le shooter que me tend Roxy, complètement bouche-bée. Non mais c’est pas possible, ils pensent vraiment que je vais avaler ça ? Ils doivent croire que je suis la reine des imbéciles pour ne me poser aucune question. D’un coup j’ai bien envie de prendre mes cliques et mes claques et de retourner à San Francisco.

Peut-être que je l’aurais fait d’ailleurs, si ce type à trois bouches ne s’était pas repointé. Maintenant ça me semble évident que c’est un démon, mais ce que je comprends moins c’est pourquoi il regarde ma soeur de cette manière. Et mon frère aussi. Déjà Roxy se met à bafouiller, ce qui est assez rare pour être souligné. Non mais qu’est-ce qui leur arrive à tous les deux ?

Il faut que Larry parle pour que je comprenne. Mais en fait, j’ai pas vraiment envie de comprendre. Parce que c’est incompréhensible. QUELLE-HORREUR. Je crois que je vais vomir, et je ne parle même pas du fait qu’ils se soient tapés la MÊME personne. Bon c’est peut-être parce que les hommes c’est pas mon truc, qu’il a un charme que je ne vois pas, mais quand même hein. Je les regarde l’un après l’autre et je crois que Roxy est aussi choquée que moi. Ben au moins je suis pas la seule à pas être au courant de quelque chose. Je sais que c’est mal mais je ressens une certains satisfaction à toute cette histoire. Enfin, si on oublie la nausée passagère.

Sauf que là, c’est moi que ledit Larry regarde. « C’est qui, votre soeur ? Elle vous ressemble en tout cas. » Et comme si ça suffisait pas, voilà qu’il me sourit de ses trois bouches et me tend une main griffue que je regarde fixement. Je crois que je vais avoir une crise cardiaque maintenant. Je rêve ou il a un regard lubrique ? A moins que je me fasse des idées, difficile de vraiment comprendre son expression avec ces trois bouches qui prennent toute mon attention.

Puis, ignorant complètement l’intrus, je regarde Eli, puis Roxy et soudain je sens de nouveau la colère monter. Je frappe la surface de la table avec mon shooter. Sauf que j’ai oublié qu’il était plein à ras bord et j’en déverse la moitié à côté. Je crois que Larry a retiré sa main fissa. « Non mais vous vous foutez de ma gueule en fait ! Ce bar est rempli de démons, vous croyez que je suis aveugle ou quoi ? Maintenant vous allez me dire ce qui se passe ici ! » Puisque la subtilité ne marche pas, je laisse tomber. Je me dis que ma tirade mérite une petite conclusion et j’ajoute un « Merde ! » sonore avant d’avaler ce qui reste de mon shot.

Ils sont agaçants tous les deux à vouloir soudain jouer les chevaliers servants. Je sais me défendre, merci bien, c’est pas comme j’avais pas eu à me débrouiller toute seule cette dernière année hein… Mais je crois que je suis si choquée par le fait qu’ils se soient tout les deux tapés ce démon à trois bouches que je ne trouve rien à dire. Et de toute façon j’ai d’autres chats à fouetter, parce qu’Eli m’attaque directement. Ca c’est un coup bas ! On a partagé un utérus pendant neuf mois, depuis quand il me fait des trucs comme ça ? Je lui lance un regard furieux, et je me mets du côté de Roxy. C’est évident qu’il ment, ou plutôt qu’il ne dit pas toute la vérité.

Mais voilà que Roxy lâche une autre bombe, et cette fois je me tourne vers elle en écarquillant les yeux. « Hein ? Mais comment t’as pu nous cacher un truc pareil ? Et comment tu l’as découvert ? » En fait j’ai un million de questions qui me viennent. Je ne sais pas si je dois être furieuse, ou l’admirer. Parce que chasser les créatures surnaturelles, c’est quand même sacrément cool. « Wahou ! Mais où t’as appris à te battre comme ça ? » De ce que j’ai compris, les vampires ont une force supérieure à celle des humains. Roxy doit être sacrément badass pour pouvoir en affronter comme ça et en sortir vivante ! Je devrais lui en vouloir, mais en fait j’ai beaucoup de mal à réfréner mon enthousiasme.

Pourtant il le fallait bien, c’est moi qu’on interroge maintenant. Mais loin d’avoir envie de cacher quoi que ce soit - enfin, à part mon état de santé évidemment - j’ai plutôt envie de me vanter un peu avec mes secrets pour une fois. J’avale le contenu de mon shooter - j’ai perdu le compte à ce stade - et je les regarde tous les deux tour à tour. « Et bien… » je leur adresse un sourire malicieux et laisse planer un silence, ménageant mes effets. « Il se trouve que j’ai quelques pouvoirs… Bon, un en fait. » Je m’accoude sur la table, prête à leur raconter tout ce qu’il m’est arrivé et à voir leurs têtes surtout. Je me tourne vers mon frère. « Tu te souviens, quand j’ai commencé à faire de l’épilepsie ? » Je ne suis même pas sûre que Roxy ait été au courant de ça. A cette époque, elle était déjà partie depuis longtemps. Mais tant pis, je me recule sur mon siège avec un sourire. « Et bien figurez-vous que j’ai des visions pendant ces crises, et dans mes rêves aussi. Des visions qui se réalisent. » Je devrais peut-être dire que ce ne sont que des visions de mort, mais ça me semble un peu sinistre.

Je me tais, encore une fois pour ménager mon effet. « Au début évidemment j’en savais rien. J’en étais pas certaine, je pensais que je devenais folle. La seule amie à qui j’en ai parlé m’a dénoncée et j’ai eu droit à des visites chez la psy du lycée. C’est pour ça que je vous en ai jamais parlé. » Je souris moins là tout de suite, parce que ce ne sont pas des souvenirs très agréables. J’avais vraiment peur d’avoir perdu la raison. « Je n’ai appris pour le surnaturel qu’il y a quelques mois, donc non je n’ai pas menti. » Je lance un regard noir à Eli au passage. « J’ai rencontré une sorcière à San Francisco. C’est elle qui m’a aidée à mieux comprendre ce qu’il m’arrivait. Voilà toute l’histoire. »

J’ai passé sous silence les détails les plus sinistres, mais dans l’ensemble je crois que c’est la première fois que je parle ainsi à coeur ouvert à ma famille, surtout à Roxy. Faut croire que la maladie ça a du bon. Mais maintenant j’aimerais bien passé au cas Elias. Je me tourne vers lui et je plisse les yeux. « A toi maintenant. On t’écoute, et t’as intérêt à tout nous dire. »

Il commence vraiment à me courir sur le haricot Elias. Je lui ai fait quoi sérieux ? C’est lui qui se barre dans un trou paumé sans rien dire à personne et c’est à moi qu’il en veut ? Parce que c’est clair qu’il m’en veut là, avec ses piques, je vois pas d’autre explication. Je ne réponds pas, vexée. Ben non je me doutais de rien, enfin je pensais que peut-être elle aimait se bagarrer ou qu’elle faisait partie d’un gang mais c’est tout. Comment j’aurais pu me douter qu’elle chassait les démons ? Peut-être que j’aurais pu poser un peu plus de questions, c’est vrai, m’intéresser.

N’empêche que je vois dans le regard de Roxy que j’ai produit mon petit effet… Tant mieux, c’était exactement ce que je voulais ! Au moins pour une fois je ne suis plus le bébé de l’histoire, non j’ai mes secrets moi aussi haha ! Enfin, je me rends compte que j’ai crié victoire trop vite lorsqu’Elias s’y met aussi. Merde, on a les même pouvoir ? Oh non, c’est pas vrai, pour une fois que j’espérais me distinguer un peu (surtout après son attitude épouvantable). Une fois la surprise passée je pense davantage à ce qu’il dit: des visions douloureuses… Il n’a pas parlé d’épilepsie et je ne l’ai jamais vu faire de crise, mais est-ce que ça implique le reste ? Est-ce que ça veut dire que lui aussi a des problèmes de santé, peut-être aussi graves que les miens ? En le regardant, il a l’air tout à fait normal, mais moi aussi je cache mon jeu alors je préfère me méfier.


Mais ce n’est pas ce qui me surprend le plus en fait, c’est plutôt que Maman elle aussi ait eu des visions. « Attends Maman aussi ? Mais pourquoi elle nous a rien dit ? Et comment t’es au courant toi ? » Je crois que c’est le pire truc qu’il m’ait jamais fait, me cacher une chose pareille. On a tous pleuré la mort de notre mère ici, alors pourquoi je savais rien ? Je me tourne vers Roxy, me demandant si elle aussi était au courant, si une fois de plus je suis la dernière à être dans la confidence. J’ai un peu envie de hurler sur tout le monde, alors je prends un shot histoire de me calmer. Tu parles d’une famille !

Je n’ai pas non plus le temps de me demander ce que sont les Puissances, parce que Roxane prend soudainement les choses en mains. Pour calmer l’atmosphère orageuse ou pour détourner l’attention ? J’en sais rien, mais elle sait comment me parler, c’est pas une Evans pour rien. Oh, je suis pas une fille facile, et d’ailleurs je résiste et je le lui montre en affichant un air détaché. Si elle croit qu’elle va m’avoir en dandinant son popotin de cette façon elle se trompe amèrement. Je ne céderai pas, hors de question.

Le problème, c’est qu’elle a choisi une musique que j’adore cette garce. Et si ma tête est bien décidée à rester les fesses sur ma chaise, mon corps a bien du mal à s’empêcher de bouger au rythme de la musique, ce traitre ! Bon c’est aussi sans doute parce que l’alcool commence à me monter à la tête, je ne suis pas maitresse de ce que je fais, c’est tout.

Je la regarde s’amuser comme une folle et ma résistance fond comme neige au soleil. Oh et zut ! Je vide le verre devant moi (ou shot ? J’ai perdu le fil de ce qui se trouve sur cette table) puis je me lève et je rejoins ma soeur en une danse endiablée. C’est vrai que ça fait du bien de se défouler un peu de cette façon, surtout après ces retrouvailles particulièrement tendues et je me sens soudain capable d’oublier que j’en veux à Elias.