Extrait d’une conférence de presse de 2001


« -Mademoiselle... 

- Madame. 

-  Oui, d’accord Madame ; si vous le souhaitez ;  J’aurai une ou plusieurs questions car je n’arrive pas à comprendre… Oui… Enfin Mme Salib, d’après votre premier ouvrage vous dites être née ; toujours selon vos dires ; en Irak à Bagdad. 

- Oui, vous avez bien lu répondit la brune.

- Et vous dites avoir perdu une partie de votre famille quelques années plus tard. Et plus particulièrement, dans cet endroit où vous avez perdu à la fois votre père, deux de vos frères ainsi qu’une de vos tantes ?

- C’est toujours vrai. Reprit la femme interrogée.

- Mais ce que je ne comprends pas, c’est ce qui est arrivé après. Cela semble assez brouillon tout cela. Que s’est-il passé avec les autres membres de votre famille ? »

La jeune fille lève les yeux au ciel. Ennuyée ou même énervée contre cet homme.

- Plus tard il est dit, je me cite d’ailleurs « Je suis partie avec mon grand-frère, ma mère ainsi que ma grand-mère seuls survivants de ma famille ».

- Non, je voulais dire… Vous exprimez certes vos sentiments, cette solitude, cette arrivée dans ce pays qui vous paraît hostile et j’en passe… Mais que sont devenus votre frère et votre grand-mère ? Vous vous êtes arrêtée à partir du lycée. On ne sait plus rien d’eux. Comme s’ils avaient disparus.

- J’ai préféré centrer mon histoire, puisque c’est la mienne, sur moi. Mes pensées, mes sentiments comme vous l’avez si bien dit, reflètent qui j’étais à cet instant même.

Mon livre parle de moi, de ma vision en tant qu’Irakienne arrivée aux États-Unis mais aussi de mon propre rapport à la guerre. Je comprends que vous soyez assez ennuyé de ne pouvoir accéder à l’intérieur si profond de mes proches mais je ne voulais pas les impliquer plus que cela. D’une part, je suis née, comme vous le savez si bien, durant la guerre. J’ai perdu une grande partie de ma famille. Ce fut un deuil plus que douloureux à faire pour mes proches, cela va sans dire. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes aussi des personnes différentes avec un rapport différent à notre histoire, notre propre culture.

Ce que vous voyez c’est ma parole, celle qui atteste de ma propre vérité de ce passé. Ma famille elle, a un rapport plus complexe. J’étais plus jeune que mon frère lorsque je suis arrivée ici. Ma position est donc très différente, tout comme mon intégration.
Par ailleurs, j’ai souhaité ne pas divulguer plus d’informations personnelles pour ne pas leur nuire d’une quelconque façons. La publication de mon livre m’a fait réfléchir à ce que je voulais faire publier ou non. Donner leur ressentis, leur pensée c’était pour le lecteur une possibilité d’accéder à une partie de leur intimité. Ce que je dévoile est déjà énorme pour moi. Vous ne vous en rendez pas compte mais je vous ai fait accéder à une porte de ma culture et même plus, d’une double culture. »

On chuchote des messes basses. L’homme au costume  semble quelque peu contrarié mais l’accepte. D’autres encore crayonnent sur leur bloc-notes les réponses données, d’autres encore barrent des écrits.

Une femme lève la main. Les yeux noirs de la jeune fille la regardent et lui donnent la permission de parler.

-Et concernant la position des États-Unis, maintenant plus que connue, quels est votre avis. Nous savons de source sûre que notre pays a participé à cette guerre, qu’en pensez-vous ?

-Nous allons interrompre les questions ici, merci beaucoup ! Déclara rapidement l’agent, arrachant le micro de l’autrice. Merci encore pour votre participation, ce fut très enrichissant ! »

L’homme se leva et incita la brune à la peau hâlée qui fit de même. On conduisit la jeune Salib dans les coulisses. Assez renfrognée, la jeune fille n’avait pas du tout aimée qu’on lui coupe l’herbe sous le pied. Ni même certaines questions plus qu’inintéressantes des journalistes.

***

2003 Discussion entre l’éditeur de Salib, son agent ainsi que l'autrice.

«- Comment as-tu osé ?
- J’ai simplement exprimé mon simple avis.
- MAIS POURQUOI ?
- La vérité.
- Ta carrière va être foutue ! Tu te rends compte ? Plus personne ne voudra t’inviter ! Ni même parler de tes ouvrages ! C’est fou ! Tu te rends compte elle s’est sabotée elle-même ! Gniagnia madame veut parler, gniagnia madame est intelligente mais elle ne sait pas comment ramener du POGNON ! Je ne veux plus te voir ! Vociféra l’homme en pointant du doigt la jeune femme. »

L'homme partit d'un pas furibond et claqua la porte. Zorah resta les bras croisés en signe de contrariété.

«- Il a raison. Être contre les États-Unis c’est très mauvais pour son image. répliqua l'agent
- Peut-être mais je refuse d’être un mouton. Mes ouvrages ont été reconnus et appréciés parce que j’étais véridique ! Répliqua l’orgueilleuse.
- Tu as apporté un vent de fraîcheur, tu es jeune, tu t’exprimes bien tu t’es exprimée de manière correcte et tu as un joli minois. Souligna l’agent de Zorah.
- Ah oui ? Donc ce que j’ai écrit c’est de la seconde main ? Le Questionna-t’elle de manière colérique.
- Ce n’est pas ce que j’ai dit. Mais le monde est tel qu’il est. L’apparence et se faire accepter tout en ayant accepté les coutumes d’un pays t’apportent un capital sympathie énorme. En revanche, critiquer le pays qui t’a rendue riche, célèbre et t’a même donné une éducation… Là c’est très mal joué ! S’opposer aux puissants c’est ça qui va te perdre.
- Ouais c’est ça. »

L’agent souffla. Il la connaissait très bien. Une gamine qui pouvait être talentueuse à ses heures mais qui manquait un peu d’humilité depuis le succès de son premier livre. Il la savait  jeune, quelque peu inexpérimentée et surtout très en colère. Il ne lui en voulait pas mais il savait que cette interview télévisuelle allait la faire sortir. D’ici quelques heures, on parlerait en mal d’elle, on voudrait l’exclure, on se moquerait d’elle.
Il chercha dans sa veste un porte-cartes et en tira une qu’il présenta à la fière autrice.

«- C’est plus qu’un conseil, presque un ordre. Prends cette carte. Tu les appelleras quand tu auras fini tes études. »

Zorah prit la carte et lut « Agence de Presse »
Au fond, la jeune femme savait qu’elle avait fichue sa carrière en l’air. Mais elle s’en fichait. Elle ne regrettait aucun de ses mots.

***

Quelques années plus tard, début du mois de juillet 2009

« C’est le troisième stagiaire qui s’en va. Mais que leur faites-vous ? S’adressa Mr Houston à la journaliste qu’il craignait le plus.

Un beignet dans la bouche, assisse sur un coin de son bureau, lisant un journal elle répondit le plus sereinement possible :
- Il ne devait pas être tout simplement à la hauteur. Voilà tout. Encore un étudiant qui se dit que la paresse passe crème. Le dernier papa maman l’appelaient souvent. J’avais plus l’impression de tenir une crèche qu’autre chose. Et encore, je ne vous parle de la quatrième, celle qui savait à peine écrire.
- Mme Salib. Vous êtes vraiment trop dure ! Charles était un amour !
- Bien sûr. Un amour qui aimait arriver aussi tard que possible et partir le plus tôt possible. On aurait dit un fonctionnaire. Et encore les fonctionnaires ils font avancer le pays.
- Mme Salib. Soyez… Soyez pour une fois tolérante. Ils ont besoin de s’acclimater à leur nouvel environnement.
- Comme vous l’avez fait avec moi ? répliqua ironiquement l'Irakienne. »

Le patron resta la bouche bée. Elle le terrifiait, l’étonnait et la faisait sortir de ses gonds. Mais elle arrivait à avoir des informations que personne d’autre n’arrivait à obtenir. Il ne savait pas comment. Il ne pouvait l’expliquer. Au début, il l’avait pris à l’essai, sans vraiment la vouloir. Il l’avait fait travailler plus que quiconque. Elle ne s’était jamais plainte. Cette femme, il la haïssait pour ses compétences relationnelles avec ses collègues, sa franchise.

« - Soyez accueillante pour la prochaine.
- Whaou une femme. J’espère qu’elle saura écrire le mot «éléphant» aussi bien que la première.
- Mme Salib. Soyez indulgente ou j’irai vous transférer à un autre service. Vous êtes ingérable ! »
L’hâlée fut plus que surprise, elle en aurait presque lâchée sa gourmandise tellement les paroles l’avaient abasourdies. Mais ce n'étaient pas les paroles qu'ils avaient échangé qui l'avaient touché. Mais plus l'annonce dans le journal qui parlait du retirement des soldats américains en Irak.

***

Août 2009

« - Vous nous quittez réellement ?
- Je vous l’ai dit. Je dois changer d’horizon. Je dois partir là-bas, raconter ce qui s’y passe.
- Vous allez nous manquer, vous savez. Dit avec un ton regrettant.                                                                 - A peine. Et puis mes articles vous parviendront toujours. Enfin, si ça marche toujours aussi bien en Irak les mails. » répliqua d’un ton malicieux Zorah.

***

Septembre 2013

« - Donc, tu es enfin revenue après plus de trois, quatre ans en Irak ?
- Effectivement.  Je dois veiller sur ma grand-mère. Elle est malade voir mourante. En plus, la situation est devenue encore plus compliquée. Je ne peux plus faire mon boulot ici. Il y a pas mal de tensions en ce moment dans le pays. On en parlera plus tard. »

***

27 Décembre 2014

La salle est silencieuse. Seuls, le frère et la sœur se trouvent l’un devant l’autre. Ils ne se disent rien. On sent une sorte de gêne mêlé à une certaine tristesse. Le silence est lourd. La sœur observe le frère et inversement. Ils sont tous deux fatigués par cette journée épuisante émotionnellement.

« - Tu vas rester combien de temps ?
- Je ne sais pas. Je pensais… Rester un jour.  Peut-être. »

Zorah regarde ailleurs. La douleur lui tort son cœur. Cette femme, leur grand-mère, c’est celle qui les a élevé, eux les sales gosses. C’était elle l’adulte responsable qui a tenté de leur inculquer une éducation.
La journaliste n’aimait pas être dans cette maison. Certes, il y avait toutes ces odeurs familières. Mais on sentait la pauvreté, la dureté de la vie. Et maintenant, cet immense vide sans sa présence.

« - Tu vas vendre la maison ?
- T’es folle ? Et pour aller où ? Où veux-tu que j’aille ? Avait dit son frère avec une pointe de colère.»

Zorah s’était tue. Elle, elle n’avait qu’une peur. Qu’il lui demande de rester ici. De lui demander de remplacer le rôle de leur grand-mère. Qu’il lui demande d’arrêter son travail, d’arrêter sa vie. La journaliste ne voulait pas se couper de sa vie. Surtout qu’elle avait d’autres projets.
Leur relation n’était pas vraiment au beau fixe. Tous les séparait. Elle faisait un travail intellectuel et lui manuel. Elle gagnait plutôt très bien sa vie. Et lui… Elle doutait qu’il gagnait autant qu’elle. Il avait arrêté les études après le lycée, elle avait continué. En plus, leurs opinions n’étaient pas forcément toujours en accord. Sauf pour l’enterrement de leur grand-mère.

« - Écoutes, je suis désolé. C’était pas… C’était pas ce que je voulais dire.… Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus… Et tout aussi long le fait qu’on ne se soit pas vraiment parlé ... »
Il croise ses mains ensemble sur la table, puis, d’un air hésitant, décide de serrer la main de sa sœur.

« Reste. Reste un peu. S’il te plaît ... »

En retour, la femme lui avait serré la main. Elle savait que cet instant ne serait pas fait pour durer et qu’elle partirait bientôt.

***

Mai 2021


« - Je souhaiterai aller ici. Désigna la femme sur une carte accroché au mur.

Le chef, dubitatif la regarde longuement l’Irakienne. Il se demande encore ce qu’elle magouille.

- Mais pourquoi donc ? Tu n’es pas bien ici ? La tournée de ton nouveau bouquin n’était donc pas aussi grande pour ton égo.
- Oh que si. Dit-elle un peu tiqué. Mais j’ai un contact qui a eu vent, du moins dans cette zone, d’étranges choses. Disparations et choses bizarres que je ne pourrais point expliquer. C’est assez confus.
- Et ce sont sur des confusions de telles sortes que vous vous appuyez maintenant ?
- Je vous rappelle que pour l’affaire du blanchiment d’argent c’était des ouï dire que moi seule ai bien voulu suivre. Résultat…
- Résultat beaucoup d’argent oui je sais, merci bien de me le rappeler. Vous me le jetez à toutes les sauces. Mais concrètement, à quoi vous vous attendez ?
- Je n’en sais rien. Mais l’instinct me dit qu’il y a quelque chose là-bas. Et je vous rappelle... »

L’homme la stoppe. Il lui fait signe qu’il accepte. L’affaire est conclue. A la fin du mois, elle partira à Crestwood. Son frère ne serait pas loin d’elle, puisqu’il avait décidé de vendre la maison et de s’y installer. Une manière pour elle de se rabibocher avec son frère et d’enterrer les vieilles rancœurs du passé. Et surtout d’avancer.

En sortant du bureau, elle se retrouve en face d’elle. Elle la regarde dans les yeux, un peu gênée, surprise de la voir là devant elle. Elle porte toujours son petit bandana bleu dans ses si jolis cheveux blonds. La brune se pousse afin de la laisser passer et tente de repartir comme si de rien n’était. Mais la femme au teint hâlé n’en mène pas large.



***

Juillet 2021


Le déménagement était arrivé. Il y avait tous ces cartons à monter dans son appartement qui se trouvait  bien. L’ascenseur était en panne mais son frère avait juré qu’il viendrait l’aider. Enfin, c’était ce qu’il lui avait dit. Résultat des courses, la journaliste s’était retrouvée à tout faire toute seule.
Loin d’en être heureuse, la brune avait inondé la messagerie vocale de son frère. Sauf qu’après quelques jours, la journaliste n’avait toujours pas eu une seule nouvelle de son frère.
Son grand-frère, lui ayant filé son double de ses clés, Zorah avait décidé de lui faire une visite surprise. Mais à l’appartement rien. Il avait comme disparut.